La jeune femme sortit de son sac un cahier acheté spécialement pour l’occasion. Plutôt épais avec un grand nombre de feuille, la couverture en imitation de vieux cuir n’attirait que peu les regards et c’était tant mieux. Après tout, pour un journal intime, mieux valait souvent passer inaperçu. Aucune personne mal intentionnée ne vivait dans le pavillon des Gamma Mu Tau, et aucune de ses sœurs n’entreraient dans la chambre d’une autre sans y être invitée, encore moins dans celle de la présidente.

Mais après le récent événement qui avait secoué le campus, il fallait bien que Silver se rende à l’évidence… Une personne avec de mauvaises intentions rôdaient dans les environs et lui livrer les moindres de ses pensées les plus secrètes ne seraient vraiment pas une idée lumineuse. A cette idée, elle ressentit pourtant une envie irrésistible de coucher sur le papier le tumulte de pensées qui lui encombrait l’esprit.

Chaque année depuis son arrivée, elle commençait l’année avec un nouveau cahier et le poursuivait tout au long des situations qui jalonnaient sa vie. Attrapant son stylo, elle fit mine de remettre ses idées en place puis se pencha sur la première page de son cahier.

« Il se nommait Clarence McAdams. Certain l’appelait le paumé ou encore plus méchamment le déchet, d’autre enfin ne l’appelait même pas. Je n’avais aucun lien avec lui, je ne lui avais parlé qu’à une seule occasion et si rapidement que je ne saurais même plus en donner la raison ou les mots qui ont été échangés. Ne faisant partie d’aucune confrérie et n’arrivant pas à réellement à s’adapter à la vie de groupe, je le voyais parfois promener seul, perdu dans ses pensées. Est-ce que cela faisait de lui une proie désignée ? Ou plutôt plus facile à approcher et tuer ? Je n’en sais rien, toujours est-il qu’à ce jour, il est la seule victime du campus…

Je me souviens avoir vus son corps sans vie au pied de l’obélisque. Parmi les premiers arrivants sur les lieux une jeune Gamma Mu tau affolée. Sa première réaction fut de m’appeler, comme si ma présence pouvait changer quoi que ce soit ou que je pouvais effacer les traces de cet acte horrible… N’y réfléchissant pas plus que quelques secondes, je l’ai donc rejoint au pied de l’obélisque où déjà plusieurs personnes plus ou moins connues s’étaient rassemblées. Certains présidents de cercles étaient présents et il fut décider, d’un commun accord d’appeler la police ainsi que les dirigeants de l’université. C’est alors que je pris réellement conscience de l’horreur de la situation… Dénudé, égorgé et recouvert du mot « GRΣC » inscrit sur tout le corps… Incapable de retenir le haut le cœur qui me prit comme un coup de poing dans l’estomac, je du m’éloigner pour prendre l’air et mes esprits.

La suite de la soirée se partagea entre auditions avec la police, le recteur et les hauts représentants de l’université. Des questions, un café, des questions, une pause et encore des questions. J’étais tellement épuisée à la fin que je ne me souviens plus aujourd’hui de ce qui s’est dit, avec pourtant le sentiment d’avoir soutenu au mieux ma jeune recrue.»

Glissant le stylo entre les lèvres, elle soupira en repensant à cette étrange nuit. Si elle n’avait pas répondu à cet appel tardif, comme elle l’avait d’abord voulu, elle n’aurait jamais vécu cette situation. Elle n’aurait jamais vu cette vision d’horreur et n’en aurait pas fait des cauchemars toutes les nuits qui suivirent…

Bien qu’en y réfléchissant bien, les jours qui suivirent ne furent pas mieux que les nuits. Un climat de suspicion et de peur s’était abattu sur le campus comme l’aurait fait un manteau de neige en hiver. Personne n’y échappait et tout le monde se suspectait ou entendait des rumeurs toutes plus folles les unes que les autres…
Se remettant à l’écriture, Silver se replongea dans l’ambiance froide et électrique qui avait régné sur le campus, à la suite de la macabre découverte.

« L’université a bien changé depuis le meurtre de Clarence. Les gens se surveillent, un couvre feu a été organisé dans les premiers temps et les confréries se sont repliées sur elles même. Mon rôle a été de rassurer, d’entourer et de protéger les plus faibles d’entre nous. Je n’irai pas dire que nous étions en temps de guerre, mais beaucoup de jeunes femmes ont été très choquée de la violence du crime ainsi que du message véhiculé. Pour les plus anciennes, j’ai gardé le rôle de décideur et de guide dans ses temps troublés. Beaucoup de débats ont lieu avec bien souvent des noms de candidat au titre d’assassin…

Bien vite, il paru évident que beaucoup d’autres confréries avaient eu le même raisonnement, le même cheminement. Et si même aujourd’hui je ne peux pointer du doigt telle ou telle confrérie, je peux dire que ce fut des membres de chacune d’entre elle qui remirent la faute sur les Alpha Sigma Phi… (Je ne me fais d’ailleurs aucune illusion, des Gamma Mu Tau ont participé à ce lynchage collectif.)
Encore aujourd’hui, je suis choquée de ce qui est advenu de cette confrérie, certes décalée, mais remplie d’innocents. Mais sous le poids de la peur ambiante, l’école s’est pliée au besoin d’un coupable. Quel qu’il soit… innocent ou non. Aujourd’hui, ce cercle mixte n’existe plus et les tensions ne semblent pas s’être apaisées…

Je sais que plus aucun cercle n’est en sécurité tant que le ou les meurtrier(s) ne se seront pas fait attraper. Pourtant, dans le but de passer inaperçu ou tout du moins de continuer à vivre le plus possible comme avant, les Gamma Mu Tau ne peuvent pas flancher. Quant à moi, je compte bien tout faire pour apaiser les tensions entre les différents cercles tout en protégeant au mieux la sororité… »

Relisant ses derniers mots, elle soupira. Remettre sur papiers ses objectifs, lui donnait la sensation de les rendre plus concrets et plus proches. Fermant son livre, elle observa sa chambre et décida qu’en attendant de trouver une cachette plus sure, son journal resterait toujours avec elle, dans son sac.